Violence dans le jeu, violence envers le jeu

Avec le développement des jeux paramilitaires et basés sur le tir ou le combat, la violence est devenue un argument marketing. Sébastien Genvo le justifie en qualifiant la violence de concept transnational1. La compétition à laquelle se livrèrent Call of Duty et Battefield sur le marché des FPS basés sur la guerre l’illustre d’ailleurs. Avec un système de jeu très semblable, la multiplication des opus répond donc à une logique économique de conquête de parts de marché. La violence représentée cristallise alors les critiques à l’encontre des jeux vidéos.


© Glenn Carstens Peters

« Faut-il avoir peur des jeux vidéos ? », l’exemple de Death Race

Laurent Tremel propose d’analyser dans son ouvrage2 le programme d’Arte du 18 mai 2000, nommé « Faut-il avoir peur des jeux vidéos ? ». Durant la soirée, experts et professionnels débattent sur l’objet du jeu vidéo. D’une génération du livre, à la génération de la télé, il serait question aujourd’hui d’une génération du jeu vidéo, incapable de discerner le monde réel du monde fictionnel, inconscients de la violence à laquelle ils sont exposés. C’est d’ailleurs toujours l’objet de la critique actuelle, comme dans cet article de La Croix, qui répond au programme d'Arte de 2000 : « Faut-il avoir (encore) peur des jeux vidéo ? »3 Des experts, des psychologues et autres chercheurs sont mobilisés pour démontrer les méfaits du jeu vidéo sur le développement psychologique de l’enfant.

Un exemple comme Death Race prouve d'ailleurs l’implication des associations de défense de l’enfance. Ce jeu d’arcade sorti en 1976, tiré du film éponyme, met en scène le joueur à bord d’une voiture, dont le but est d’écraser le plus d’individus possible. Chaque individu renversé lui fait gagner des points. Le jeu fait polémique à sa sortie, et le National Safety Council le qualifia d’« insidieux », de « morbide », de « choquant » et de « malade »4. L’ironie du sort est que Death Race bénéficia de cette critique pour vendre davantage de copies du jeu, avant de cesser sa production du fait de la polémique. La critique marche dans ce sens : si l’on parle négativement du jeu, on parle quand même du jeu, et ces critiques attisent la curiosité des joueurs qui auront à cœur de tester par eux-mêmes le jeu dont il est question. D’autant plus que le propre du jeu est d’incarner un personnage dans un monde fictionnel, c’est à dire « faire comme si » nous étions ce personnage. Le jeu permet alors de transporter le joueur et de lui permettre un comportement considéré comme répréhensible dans le monde réel.

Fascination pour la violence

Il est donc normal que la violence fascine les joueurs. Tuer, tabasser, voler sont des actes illégaux et moralement inacceptables dans le monde ordinaire. Or ici, le jeu récompense ces actes. Cela amène à la question du jeu vidéo comme vecteur de débat social : « Conférer ce rôle social au jeu vidéo implique en effet que soit donnée au joueur la possibilité d’adopter un certain recul critique face à l’objet lors de sa pratique ludique tout en lui permettant d’y apporter sa part de créativité. »5 Si le joueur mature peut adopter cette démarche critique vis-à-vis du jeu auquel il joue, l’enfant n’a pas cette capacité de réflectivité. Bien qu’en 2000, l’émission d’Arte s’est tenue au cœur des prémices d’internet, la violence n’a pas disparu pour autant des jeux vidéo et les enfants y sont toujours confrontés. On peut même se demander s’il n’y a pas une banalisation de la violence. Les jeux sur mobile représentent aujourd’hui le premier marché du jeu vidéo. Plus maniable qu’un ordinateur et plus mobile qu’une console de salon, on peut supposer que l’enfant est davantage confronté à ce genre d’image. Il est ainsi nécessaire d’adopter un rôle de sensibilisation. D’autant plus que ces objets peuvent présenter un réel intérêt pédagogique. 

La violence : argument de critique ou joueurs abrutis ?

Le jeu vidéo a beaucoup souffert du qualificatif « violent » qu’on lui a constamment apposé. Grand Theft Auto en fut l’exemple maître. Égérie de la violence dite « gratuite », le jeu vidéo subit de nombreuses critiques. L’univers masculin et militaire, compétitif et violent a participé à entretenir une image négative du jeu vidéo. Le problème du discernement entre la réalité et le jeu a notamment été abordé lors de la fusillade de Colombine en 1999 aux Etats-Unis, le jeune homme ayant attaqué l’école étant un joueur de jeux vidéos avéré. Cependant, Mathieu Triclot pense que dire d’un joueur qu’il manque de discernement entre réalité et fiction, c’est dénigrer fortement sa capacité de jugement6. En somme, le joueur sait faire la différence entre son jeu et la réalité toute autre, entre un monde régit par ses propres règles et la réalité encadrée par les siennes. Si un discours négatif a longtemps été nourri par certains drames, tels que celui de Colombine, ou reportages, articles et débats, le jeu vidéo a su lui aussi justifier cette violence. En effet, Olivier Mauco a étudié par exemple Grand Theft Auto IV et son discours politique, éminemment critique du « rêve américain »7. Par la mise en scène de nombreux éléments constitutifs de la culture américaine, du quotidien, et le détournement de l’architecture, des réseaux, et des programmes médiatiques, Grand Theft Auto (GTA) relève davantage les contradictions de la politique américaine qu’il ne propose un jeu où la violence gratuite est glorifiée. Rockstar, l’éditeur de la série GTA, a d’ailleurs fait de cette critique sociale sa marque de fabrique. Le personnage déviant est un personnage omniprésent dans la série de jeu vidéo. Il constitue un des supports du discours politique de GTA ; à travers l’histoire du personnage principal, on nous donne à voir la critique sociale.


Considéré comme une industrie culturelle, le jeu vidéo suscite de nombreux débats qui remettent en question sa légitimité. En effet, il penche entre l’illégitimité culturelle (critique envers la violence des jeux, le manque de moral), et la légitimité car l’on reconnait ses capacités ludiques et son pouvoir médiatique. Son acceptation auprès du grand public et sa médiatisation, amène cependant l’État a considéré le jeu comme une œuvre de fiction qui bénéficie de subventions publiques. Reconnu comme média, il est ainsi vecteur de discours.

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1 Sébastien Genvo, « Du rôle de la masculinité militarisée dans la médiation ludique sur support numérique », Quaderni [En ligne], 67 | Automne 2008, mis en ligne le 05 janvier 2012, consulté le 03 octobre 2016
2 Laurent Trémel, Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia. Les faiseurs de mondes. Presses universitaires de France, coll. Sociologie d’aujourd’hui, Paris, 2001
3 Faut-il avoir (encore) peur des jeux vidéo ? consulté le 21 septembre 2017
4Death Race consulté le 21 septembre 2017
5 
Sébastien Genvo, Le jeu à son ère numérique. Comprendre et analyser les jeux vidéos, Paris, Ed. L’Harmattan, 2009 p95

6 Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, Paris, Éd. La Découverte, coll. Zones, 2011
7 Olivier Mauco, GTA IV, L’envers du rêve américain, Jeux vidéos et critique sociale, Éd. Questions Théoriques, coll. Lecture > Play, 2013.