Mr Robot : le capitalisme comme machinerie


Mr. Robot est une série télévisée américaine créée par Sam Esmail et diffusée depuis le 24 juin 2015 sur USA Network, avec un format de 45 minutes. Le personnage principal Elliot Alderson est incarné par Rami Malek (qui a joué dans la série notable The Pacific). Le second personnage, Mr Robot, est incarné par Christian Slater. Elliot est un informaticien vivant à New-York, qui travaille comme ingénieur dans une société de sécurité informatique nommée AllSafe. Il souffre de troubles d’anxiété sociale et de dépression. L’intrigue de la série commence notamment à partir du moment où il rencontre « Mr Robot », un anarchiste qui le recrute dans un groupe de hackers. Leur objectif est de détruire le conglomérat « E Corp », qui gère un nombre massif d’entreprises dans l’univers de la série (banques, nourritures, assurances, vêtements, électroniques, etc). Sauf que le conglomérat se trouve être le principal client de la société pour laquelle travaille Elliot.

On retrouve également beaucoup de références et une certaine inspiration du mouvement Occupy Wall Street, et des Anonymous, la série dénonçant l’argent virtuel, le capitalisme, avec un fond anarchiste présent dans toute la saison. On retrouve également une référence aux Anonymous par le déguisement utilisé par Mr Robot pour filmer ses discours face à la caméra, le masque employé étant semblable.


La série Mr Robot a ainsi un lourd écho au monde moderne. Elle évoque les objets ultra-connectés, les conglomérats financiers, obtenus par l’essor des intégrations verticales et horizontales, les marchés financiers qui prennent le contrôle sur les États-nations, etc. Ces problématiques contemporaines, accélérées par la mondialisation, sont soulignées et exagérées dans la série, dans le but de dégager une critique du capitalisme. Comment les rapports qu’entretient Elliot avec l’environnement financier illustrent-ils une critique plus globale de la marchandisation du monde ?

Critique marxiste : le capitalisme comme machinerie

Marx définit le capitalisme comme un système politique, économique, et social basé sur la recherche de plus-values obtenue par l’exploitation des travailleurs dans une logique de profit. La figure du capitalisme exploitant les travailleurs est incarnée par le conglomérat « E Corp », que cherchent à combattre Mr Robot et ses hackeurs. Les travailleurs et victimes de cette exploitation sont les citoyens lambda ; Elliott, sa meilleure amie, leur famille respective, leurs proches, etc. Le conglomérat d’E Corp représente à l’extrême la tendance actuelle des entreprises et des grands groupes financiers à intégrer verticalement ou horizontalement de nombreuses sociétés. L’exemple le plus frappant est celui de Google, qui exerce un contrôle sur les supports numériques (grâce au système Androïd par exemple), et les contenus (Google, Youtube, Gmail). Ainsi E Corp illustre le joug du capitalisme sur les individus.
Dans la première scène du premier épisode de la saison, le conglomérat est immédiatement présenté, présupposant qu’il constitue le fil rouge de la série et sera le sujet de l’intrigue. Il est ainsi donné comme étant une machinerie régissant le monde, les rapports entre les individus, et organisant la société ainsi que les rapports de forces.
Ce contrôle massif et la logique de profit au moyen de l’exploitation du travail se remarque à travers la figure de la meilleure amie de Elliot, Amanda, qui a contracté un prêt auprès d’une banque gérée par E-Corp. Elle a des difficultés à rembourser ce prêt. Cela est exacerbé lorsqu’elle découvre les factures impayées de son père, facturées elles aussi par l’assurance d’E Corp, découvrant dès lors la situation précaire de son père (Saison 1 épisode 5). Le conglomérat est désigné comme un étau qui se resserre peu à peu sur les proches d’Elliott, qui va accepter l’offre de Mr Robot dans le but de les aider.


Cette énorme machine capitaliste est illustrée dans le premier épisode lors du passage d’Elliot chez sa psychologue (saison 1 épisode 1). Celle-ci lui souligne lors de la scène qu’Elliot est un individu énervé contre la société. Celui-ci se met alors à penser à pourquoi, et déroule dans ses pensées la machinerie engendrée par la recherche de profit, les nouveaux réseaux sociaux qui changent nos modes de vies et nos relations humaines. La série cherche alors à montrer comment les individus sont inconsciemment pris dans la machine capitaliste, qu’ils ne peuvent contrôler, parce qu’elle est elle-même incontrôlable, et parce qu’ils n’ont pas idée de cette emprise. Par le personnage d’Amanda, on suit l’accumulation des dettes, qu’elle ne peut arrêter. Et par le personnage de Tyler (que nous allons décrire ci-dessous), on observe l’obsession de cette recherche perpétuelle d’élévation sociale et économique.

Manipulation et frustrations

On trouve ainsi dans Mr Robot une domination du capitalisme sur les individus, même chez ceux qui jouent le jeu du capitalisme, dans la mesure où ceux-ci cherchent davantage de profit, et sont poussés, presque inconsciemment par leurs pulsions (de richesses, de pouvoir, etc). Ces pulsions traduisent une manipulation capitalistique sur les individus, y compris les dominés. Cela est illustré par le jeune cadre d’E Corp, appelé Tyler, qui n’a pas été nommé CTO (Chef du département technologique) et cherche à tout prix à l’être, alors qu’il occupe déjà une place de choix. Lors de la scène de la Saison 1 Episode 3, le personnage de Tyler s’attend à sa nomination au point d’en être absolument certain. Cela créé une accumulation d’attentes, complètement bousculées quand celui-ci se voit refuser un rendez-vous, son supérieur sous-entendant un autre candidat au poste. Cette frustration le rend presque fou au point de battre à mort un SDF dans les rues de New-York. La logique de la machine capitaliste va donc pousser Tyler à attendre le poste qu’il désire pour aller chercher le profit, en employant des moyens peu louables au long de la série.

On a cependant un aspect critique et compréhensif, car les personnages vont agir contre le capitalisme pour retrouver leur liberté, notamment financière. Elliot va chercher à aller à l’encontre de cette machine, grâce aux actions du groupe de Mr Robot. Dans cette saison ils essayent dans un premier temps d’aider les amis d’Elliot, mais surtout de faire tomber les serveurs d’E Corp, dans le but de créer une nouvelle crise économique censée permettre l’émancipation de l’individu. C’est notamment un extrait du premier épisode que Mr Robot explique qu’E Corp détient les crédits aux particuliers, et que sa destruction permettrait une liberté financière et la fin d’un capitalisme étouffant et opprimant.


Les troubles de l’individualité du personnage principal comme supports du récit

Dès la première scène du premier épisode, le personnage d’Elliot se parle à lui-même. Cela nous laisse penser à une sorte de schizophrénie ; Elliot parle à un « moi » imaginaire, ce qui permet au téléspectateur de rentrer dans son esprit. Le spectateur va comprendre à la fois ce que ressent Elliot (ses pensées, ses problèmes sociaux notamment, et les mécanismes de la dissonance cognitive que nous étudierons dans le point suivant), ainsi que ce ne qui n’est pas présenté dans l’action (son histoire personnelle, l’existence du conglomérat, le point de vue adopté par le personnage). Nous pouvons citer comme exemple l’extrait que nous avons auparavant cité (saison 1 épisode 1), où la schizophrénie d’Elliot est d’emblée présentée comme un moyen de comprendre l’histoire et la place majeure que va occuper E Corp dans l’intrigue. Le dialogue qu’entretient Elliot avec son « moi » intérieur et imaginaire est un moyen d’expliciter certains points de l’intrigue. Tout au long de la série ces monologues permettent au téléspectateur de comprendre le point de vue d’Elliot et l’angle sous lequel il analyse les différents événements.

La narration est ainsi permise grâce à ces dialogues personnels et imaginaires. Ce qui est également intéressant de relever est le vocabulaire employé par Elliot. L’intrigue et ses pensées sont explicitées par un langage informatique. Par exemple, pour parler de sa propre singularité, et celle de ses amies, il emploiera le mot « bug ». Par ce procédé la narration issue de l’imaginaire du personnage et basée sur le déroulement de l’intrigue à l’écran se font écho ; le métier d’Elliot et ses activités de hacker deviennent une grille d’analyse, ses réflexions utilisant le langage informatique. La narration par la schizophrénie vient donc compléter ce que l’on voit à l’image.

La dissonance cognitive d’Eliott

La dissonance cognitive est un concept relevant davantage de la psychologie sociale que de la sociologie ou de la philosophie. Cette théorie développée par Leon Fistinger analyse les mécanismes de cohérence chez l’individu entre ses actes et sa cognition. Le cas de dissonance cognitive est présent quand il a chez l’individu plusieurs éléments contradictoires. Pour que les éléments contradictoires puissent s’adapter de façon cohérente, l’individu va ajuster son comportement ou ses valeurs (la cognition) pour que ceux-ci soient cohérents l’un avec l’autre. Par exemple : je fume, mais j’ai conscience que c’est mal. Pour réajuster mon attitude, qui est celle de fumer, par rapport à mon système de valeur, où j’estime que cet acte est mauvais pour ma santé, je vais fumer en me disant par exemple qu’il faut bien mourir de quelque chose. Ainsi j’harmonise l’acte avec les cognitions (les valeurs, la conscience, les réflexions et pensées).

Tout au long de la série, il y a plusieurs cas où les valeurs d’Elliot sont confrontées à ses actes. La première saison va montrer ces réajustements, en montrant les choix possibles d’Elliot. Il a le choix de participer à cette « révolution » créée par des hackers, qui aura pour conséquence « collatérale » de ruiner l’entreprise pour laquelle il travaille (AllSafe), et de créer une crise financière majeure. Or il ne veut pas que son entreprise s’écroule, ni semer la pagaille. Il va y avoir un processus de réajustement, et il va changer son comportement en trouvant un moyen de ne pas ruiner son entreprise, et en réajustant ses valeurs et son attitude sur celle de Mr Robot.

Dans d’autres scènes, la dissonance n’est pas résolue. Dans un extrait du premier épisode, (saison 1 episode 1), Elliot est invité à expliquer sa colère envers la société chez sa psychologue. La scène montre alors les raisons de sa colère, sa haine envers la société de consommation et envers les rapports sociaux superficiels engendrés par les nouveaux réseaux sociaux, internet, et l’illusion de bonheur procuré par la consommation. Cette scène se coupe, et l’on découvre qu’Elliot n’a en réalité jamais exprimé à voix haute ces pensées, et qu’il tait cette colère. Dans un extrait de l'épisode 7, on observe à nouveau cette dissonance. Elliot est invité à prendre quelques vacances, et à parler de ses problèmes personnels, que son chef ne comprend pas, à quelqu’un de confiance. Avec le vocabulaire et les éléments propres au « monde » informatique, Elliot pense à l’intérieur de lui que personne n’est digne de confiance, et que se confier est un acte superficiel car personne ne livre sa vraie personnalité. Une fois de plus Elliot acquiesce et entend bien suivre les conseils de son chef, qu’ils dénigrent au fond de lui.

Elliot choisit toujours la solution de facilité, dans le sens où il est plus facile pour lui de cacher ses réflexions et d’agir comme les autres souhaitent qu’il agisse plutôt que de faire face à la réalité de ses pensées, qui ne sont pas partagées par la société. Cependant ses comportements sont incohérents par rapport à ses réflexions, et illustrent une machinerie qui prend le dessus sur les valeurs et manipule les individus. La financiarisation régit le comportement d’Elliot, qui subit le système, du moins en façade. Car s’il se veut victime dans un premier temps, il parvient à dépasser cette manipulation invisible et inconsciente grâce à Mr Robot et son groupe de hackeurs qui cherchent à détruire cette oppression invisible, illustrée par E Corp.

Dissonance globalisée, harmonisation étouffée

La dissonance intrinsèque à Eliott peut laisser penser à une métaphore d’une dissonance globale de la société ; une société qui n’arrive pas à s’harmoniser entre une dynamique capitaliste et consumériste globale et les individus singuliers qui n’arrivent pas à se conformer dans cette uniformisation à cause justement de leur individualité. Les attentes créées par le capitalisme et le néo-libéralisme s’opposent ainsi aux frustrations issues du système (le pouvoir d’achat bridé par les crédits à la consommation, la montée du chômage, etc). Les troubles de la personnalité du personnage sont l’illustration d’une inconformité.



Mr Robot se présente comme une série moderne pointant les contradictions et les problèmes inhérents à nos sociétés contemporaines. Cette série souligne les défauts de l’individualisme créé par le capitalisme par le personnage d’Elliot, qui souffre de cette solitude, issue de sa marginalité et que la société n’arrive pas à intégrer. Par les rapports qu’Elliot entretient avec l’environnement de la série, il est possible de formuler une critique marxiste du capitalisme. Alors que le réajustement se fait toujours en faveur du capitalisme, Mr Robot nous invite à prendre le contre coup de cette dissonance et à nous soulever en faveur de nos libertés individuelles.